samedi 4 février 2012

000 - Pourquoi Ketzing plutôt que Lezey ?

000 - Pour habiter à Ketzing, ce paradis en Lorraine, il faut le mériter.

Voici l'histoire de la famille Rosart originaire de Lezey et qui a vécu 25 ans dans ce coin reculé de la Lorraine profonde.


L’embauche d’Eugène Rosart
comme régisseur du Domaine de Ketzing,
une histoire peu ordinaire

Le domaine de Ketzing à Gondrexange est la propriété du vicomte François de Curel, par ailleurs auteur dramatique et académicien. Il réside tantôt à Paris, tantôt à Coin-sur-Seille, une commune de Moselle à mi-chemin entre Metz et Pont-à-Mousson et berceau de sa famille. Il y est d’ailleurs enterré dans l’église paroissiale. Il séjourne aussi fréquemment à Ketzing pour « La chasse, ma grande passion » (titre de son livre le plus connu).
À son décès, le 26 avril 1928, la propriété revient à sa fille naturelle, Françoise-Marthe, puisqu’il n’a pas d’autres enfants.
Mademoiselle Françoise-Marthe de Curel, célibataire et sans enfants elle-même, se trouve bien démunie pour administrer ce domaine. Elle habite Paris et ne se voit pas faire régulièrement le voyage aller-retour entre Paris et Ketzing pour régler les nombreux problèmes qui se présentent.

Le domaine de Ketzing c’est 1800 Ha de forêts avec des étangs, une ferme, un château avec ses dépendances, 3 maisons pour les gardes forestiers et la maison du régisseur.

L’un de ces problèmes, et non des moindres, est l’absence d’un responsable sur place en qui elle aurait confiance pour la tenir au courant des faits et gestes des personnels qui sont à son service, garde-chasses, bûcherons, fermiers et autres ouvriers.
Le problème est d’autant plus épineux qu’elle reçoit des lettres anonymes dénonçant des malversations qui auraient lieu à son détriment. On peut noter essentiellement des ventes pour des comptes personnels, de poissons, de gibier, de bois de chauffage, quand ce ne sont pas des insultes …

Ci-dessus, l’une de ces lettres, exemple édifiant où tout le monde en prend pour son grade.
Dommage qu’elle ne soit pas datée, on pourrait savoir qui est ce régisseur intempérant.


Le problème se complique encore par l’attitude de Monsieur Rèbre, fidèle garde-chasse très expérimenté de François de Curel son père, qui fait savoir à qui veut l’entendre, « que tant qu’il serait à Ketzing, aucun régisseur ne pourra y rester ».

Mademoiselle de Curel finit par faire appel aux bonnes volontés de son entourage familial et parmi les relations lorraines de François, pour dénicher « l’oiseau rare ».
On notera que parmi celles qui se manifestent, toutes ne sont pas désintéressées, notamment certains membres de sa famille. En effet et pour finir, elle sera internée « psychiatrique » dans une clinique privée en Suisse, à Rives-de-Prangin, sur les bords du lac Léman. Un excellent moyen pour lui éviter d’avoir une descendance.

C’est ainsi qu’un certain J. de Moustier, de la famille de Mademoiselle, intervient pour mettre en place un régisseur. Sa lettre du 28 juillet 1929 précise les conditions d’embauche et les personnes à rencontrer pour la prise de fonction en septembre :

- Monsieur P. Jager à Metz, dorénavant « commissaire aux comptes » de Mademoiselle.

- Monsieur Mombert, marchand de bois à Abreschviller et vraisemblablement faisant provisoirement fonction de régisseur jusqu’au 31 août 1929.

Sa rémunération s’élèvera à 15000 Fr / an, plus 10% sur les ventes de poissons, gibier, bois, et plus tard le fermage.


Ce document ne précise pas à qui il est destiné, mais vraisemblablement à Monsieur Houpert qui vient du domaine de Marimont. Il deviendra le régisseur du domaine de Ketzing pour deux ans. On peut y relever que Mademoiselle souhaite vivement que le candidat soit marié. Étrange exigence pour l’embauche d’un employé. Serait-ce une condition édictée par les « membres de la famille particulièrement intéressés par le fait qu’elle n’ait pas de descendance » ?

On peut relever dans une autre lettre que Mademoiselle est une fervente catholique et une généreuse donatrice à la paroisse de CUREL, commune proche de Saint-Dizier d’où seraient originaires les ancêtres de la famille de Curel. Une lettre de remerciements du curé en témoigne.




Le 1er décembre 1931, un nouveau régisseur est embauché sans qu’ait été précisé le montant de sa rémunération. Il s’agit d’Alexandre Chrétien, ancien préposé des Eaux et Forets en retraite.
En mars 1932, Mademoiselle lui écrit pour annoncer qu’elle l’autorise à embaucher du personnel mais qu’elle souhaite obtenir des renseignements sur les candidats retenus.
Dans cette lettre elle fixe ses émoluments. Ils s’élèveront à 2000 Fr/mois plus 3% sur les ventes. Il avait donc commencé à travailler sans contrat.




Elle profite de l’occasion pour lui demander de faire procéder au raccordement téléphonique sur Gondrexange, la ligne existante avec Réchicourt-le-Château ne donnant pas satisfaction. De plus on sait à Ketzing que le central téléphonique est tenu par la belle-sœur de Monsieur Mombert, marchand de bois cité plus haut, d’où un risque d’écoutes clandestines des communications avec le domaine et donc une confidentialité compromise, « ce qui s’est déjà produit ». Ce serait particulièrement dommageable aux transactions en cours.
Elle précise aussi, et en post-scriptum seulement, qu’elle tient à voir sa comptabilité qui devra lui être présentée dorénavant tous les trimestres.

Ce régisseur quittera son poste en mai 1933 après un échange de lettres faisant état de questions posées auxquelles Mademoiselle ne répond pas.

On apprend alors en consultant différents courriers d’avril 1933 émanant de MM. Maire et Perdrizet « arbitres » à Paris, Me Videcoq notaire à Paris, Jager à Metz, Mélard à Puttigny et J. de Moustier « chargé de Mademoiselle de Curel », que Mademoiselle avait décidé de vendre le domaine et avait demandé à M. Jager, liquidateur à Metz, de faire le nécessaire.
Un acte de vente aurait même été signé avec un certain Thouveny, marchand de bois qui exploitait à cette époque les forets du domaine. La somme de 150.000 Fr. d’honoraires aurait été versée à M. Jager. Mais M. J. de Moustier aurait réussi à dissuader Mademoiselle de vendre et serait intervenu pour mettre fin à la procédure, qualifiant M. Jager de « triste individu et infâme menteur ».

En effet, la signature de Mademoiselle aurait été « enlevée par surprise lors d’un déplacement de MM. Jager et Thouveny à son domicile à Paris ».
L’annulation de l’acte de vente du domaine pour la somme de 2.000.000 de Fr. pas encore versée, a nécessité des prouesses notariales et des dépenses imprévues, mais qualifiées de « limitées aux frais d’actes notariaux d’environ 400.000 Fr. ».

La procédure suivante était prévue dans une lettre du 12 mai 1932 datée de Nancy :
« MM. De Moustier et de Mérode achèteraient suivant le contrat existant, et par priorité, le domaine pour la somme de 2.000.000 Fr. Ils paieraient donc les frais de leur acte d’achat ».
« Mais avant il faudrait que Mademoiselle demande à ses cousins de prendre l’engagement vis-à-vis d’elle, de lui revendre le domaine pour le même prix, plus les frais qu’ils auront déboursés ».
Les 400.000 Fr représentent donc les frais de deux ventes, « Moustier-Mérode-Bernheim » et « Moustier-Mérode-Melle de Curel ». « Et si Berheim demandait une commission pour se retirer, elle ne saurait dépasser 300.000 Fr ». « Melle ne paierait donc en tout que 700.000 Fr pour rentrer en possession de son domaine ».

La lettre se termine ainsi :
« Quant à Thouveny, restant seul en face de Melle de Curel, nous préparons les armes. Melle ne doit pas lui réclamer le paiement des 2.000.000 Fr maintenant ».

Voici le document :


Le régisseur Alexandre Chrétien qui a démissionné en mai 1933 est remplacé à partir de cette date par un certain Buffet qui se démène de toutes ses forces, comme son prédécesseur, pour obtenir de Mademoiselle les informations, les décisions et les moyens nécessaires à la gestion du domaine.

Dans sa longue lettre du 20 février 1935, il réclame avec insistance la « Lettre de caution du Crédit Algérien » réclamée par des administrations et tribunaux.
Voici cette lettre pathétique de Monsieur Buffet. Elle donne une assez bonne idée des conditions dans lesquelles les régisseurs doivent travailler et les nombreux problèmes non résolus faute de décisions, qu’ils doivent gérer.






M. Buffet s’y dit « condamné à mort » et se demande si son successeur « verra comme moi ». Le successeur en question sera Eugène Rosart comme on va le voir ci-après.

En effet le 22 janvier 1934 M. Mélard, qui a donc servi d’intermédiaire, informait Mademoiselle qu’il est allé reprendre chez M. Allix « le dossier que vous m’aviez demandé de lui transmettre » et il ajoute « le papier que vous désirez ne s’y trouve pas ». On ne sait pas de quel papier il s’agit. Ce pourrait être cette fameuse « lettre de caution du Crédit Algérien » que réclame Buffet dans sa lettre.
Rappelons que ce Monsieur Allix n’est autre qu’un des fils du « grand-père Allix » dans notre arbre familial.




Une lettre manuscrite de Mademoiselle semble confirmer qu’elle confiait la gestion du domaine à Léon Allix dès le 15 avril, avant même la signature d’une convention de régisseur dont le projet en cours de rédaction ne prévoit l’entrée en fonction que le 1er juin 1934 alors que Monsieur Buffet est encore en fonction. Cette situation sur siège éjectable explique peut-être l’expression « condamné à mort » utilisée par Monsieur Buffet à la fin de sa lettre si pathétique.

Voici celle de Melle confiant la gestion à Léon Allix à partir du 15 avril 1934 :




C’est le nœud du problème des régisseurs de Ketzing. Le poste est éminemment difficile à tenir avec la présence active de Monsieur Rèbre bien implanté sur le terrain. Les titulaires du poste, pour s’imposer, auraient dû pouvoir s’appuyer sur un ordre de mission en bonne et due forme. Or Mademoiselle hésite à s’engager par écrit avant d’avoir vu les candidats à l’œuvre sur place. Elle les veut « à l’essai » avant de conclure. D’où la « valse » des prétendants et une gestion qui part à vau-l’eau. D’où aussi, comme on va le voir plus loin, l’exigence d’un contrat signé exprimée par Monsieur Léon Allix sur les conseils de Monsieur Mélard lui-même. Cette exigence bien naturelle entraînera la rupture des relations sur « ce dossier Allix régisseur de Ketzing ». Voici le projet qui prévoit une entrée en fonction le 1er juin seulement, mais qui n’a pas été signé :


Vient alors une longue lettre de Henri Allix, père de Léon, datée du 02 novembre 1934 et adressée à Mademoiselle, dans laquelle on découvre que Mademoiselle est toujours à la recherche d’un régisseur et qu’en attendant on lui propose de confier à Monsieur Allix père, comptable de la saline de Dieuze en retraite, certaines démarches importantes comme des encaissements.



On apprend ainsi que la candidature de Léon Allix, fils de l’Henri, avait été présentée par Monsieur Mélard, « homme de confiance de Mademoiselle ».

On notera enfin que les Mélard sont de gros cultivateurs à Puttigny en Moselle et aussi maires de pères en fils de cette commune. Puttigny est à 50 km de Coin-sur-Seille, exactement à mi-chemin sur la route de Ketzing situé 45 km plus loin. On peut donc imaginer que Mademoiselle s’est adressée à lui parce qu’il est un ami de François de Curel qui faisait étape chez les Mélard lors de ses déplacements de Coin-sur Seille à Ketzing.

Cette lettre nous confirme bien que la candidature de Léon Allix n’a pas été retenue à cause du contrat de travail qu’il voulait pouvoir signer avant d’entrer en fonction, ce qui, d’ailleurs, lui avait été fortement conseillé par monsieur Mélard lui-même.
Rien d’étonnant à cela si l’on se rappelle que Monsieur Rèbre, qui semble faire la pluie et le beau temps à Ketzing, ne veut pas d’un régisseur et que Léon est au courant des « difficultés actuelles » qui attendent les candidats.



Le « grand-père Allix, l’Henry » qui a de la suite dans les idées, propose alors à la place de son fils Léon, son petit-fils par alliance, Eugène Rosart, mari de la Léone, sa petite-fille. Cette nouvelle candidature conviendrait bien, puisque l’Eugène a fait une école d’agriculture (?) et « n’exigerait pas de signer son contrat de travail avant l’entrée en fonction », ce que souhaitait justement Mademoiselle. L’Eugène « est marié », c’est justement ce qu’elle souhaite aussi des candidats, et en plus l’Henri, comptable à la retraite de son état, se propose de l’aider pour la comptabilité du domaine.

S’il parvient à obtenir que Rèbre rentre dans le rang,
L’Eugène Rosart aura été le candidat idéal pour la fonction.



Voici le contrat qui sera signé et exécuté par la suite :


L’argumentation et la ténacité du « grand-père Allix » ont porté leurs fruits.

Le 01 mars 1935, l’Eugène prend ses fonctions à Ketzing et parvient à s’imposer dans le poste malgré la détermination de Monsieur Rèbre, paix à son âme.

La suite de cette histoire :

L’Eugène Rosart est resté à la tête du domaine jusqu’à sa retraite en 1960, c’est-à-dire pendant 25 ans, un record. Il le régissait et allait à Paris en rendre compte à Melle de Curel, jusqu’à ce qu’un administrateur parisien soit désigné lorsqu’elle a été mise sous tutelle à la demande de sa famille. Il a mis le domaine en ordre et l’a remis en bon état à son successeur. Les pisse-vinaigres qui ont osé émettre des critiques sur les résultats obtenus ignoraient tout de cette histoire et n’avaient pas les données élémentaires pour apprécier les progrès réalisés. Qu’on leur pardonne leurs billevesées publiées dans le journal « Le Lorrain » à l’occasion de la cérémonie de prise de fonction du successeur. Elles sont destinées aux poubelles de l’histoire lorraine.
Quant aux différents administrateurs depuis Paris, ils venaient deux fois par an à Ketzing pour s’assurer de la bonne gestion du domaine. Ils administraient tous les biens de Mademoiselle, c’est-à-dire l’ensemble de son patrimoine, Ketzing et le reste, tandis qu’elle était placée en résidence dans une clinique psychiatrique privée sur les bords du lac Léman en Suisse, à Rives-de-Prangin. Elle y est demeurée jusqu’à la fin de ses jours.
Trois administrateurs ont officié. Monsieur Gervais le premier, et Monsieur Cheminais le dernier, étaient de grands professionnels, très expérimentés. Ils faisaient donc confiance au régisseur en place et ont tous les deux été appréciés pour leur grande classe. Un seul s’est fait remarquer pour sa goujaterie, Monsieur Francis Decaux l’intermédiaire, le père d’Alain Decaux historien bien connu de la télé. Empressons-nous de l’oublier, il est décédé depuis longtemps et doit être allé au diable comme on le lui souhaitait dans notre famille.

Le domaine de Ketzing bien géré est donc resté propriété de la « grande famille », mais à quel prix !

Pour mémoire :

Henry Allix dit « le grand-père Allix », aîné d’une fratrie de 10 enfants de Léopold Allix, le géomètre. Il a reconnu comme sa fille et élevé sa demi-sœur, la petite dernière, Lucie-Anna Allemann-Allix.
Il a fait nommer le mari de celle-ci, donc son gendre l’Ernest Thomas, comme directeur de la saline de Salées-Eaux à Ley-Lezey.
Il a fait embaucher par Mademoiselle de Curel comme régisseur du domaine de Ketzing à Gondrexange, son petit-fils l’Eugène Rosart mari de sa petite-fille Léone Thomas.
L’Henry Allix, un homme généreux, déterminé et efficace dans la vie.
Chapeau bas, le grand bonhomme !

Vendenheim, le 21/01/2020, jour anniversaire de la décollation de Louis XVI

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