samedi 4 février 2012

- Les tâches professionnelles de mon père - L'école


4 - II - Ketzing, PARADIS en Lorraine. Les tâches professionnelles de mon père - L'école

Comment vivait-on, dans l'immédiat après-guerre, dans ce coin retiré le la campagne lorraine.



Ce knol fait partie de la collection Chronique-d'une-famille-lorraine...
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Les tâches professionnelles de mon père :
Je mentionne ces travaux, car nous avons toujours été associés à son travail. Il nous donnait beaucoup de détails au sujet de ce qu’il faisait, et nous emmenait souvent en forêt pour notre éducation et notre plaisir.

Pour les tâches générales : gestion du personnel et comptabilité. Gestion du matériel et des travaux d’entretien des bâtiments.
Pour la gestion de la forêt : choix des coupes annuelles, martelage, cubage, abattage, débardage, débitage, adjudication des bois coupés (grumes et bois de chauffage en stères), attribution des bois d’affouage. Précisions à ce propos, il subsistait une ancienne coutume qui consistait à attribuer à chaque foyer (d’où le nom d’affouage) de Gondrexange un nombre de stères gratuits pour le chauffage des maisons en rapport avec le nombre de personnes composant le foyer. Les attributaires devaient aller les chercher rapidement sur place et les évacuer avant que les adjudicataires des bois coupés n’interviennent. L’attribution se faisait par tirage au sort pour éviter les récriminations liées aux difficultés d’accès à certains lots (longues distances, chemins en mauvais état). S’ajoutaient aussi l’entretien des chemins et sentiers forestiers, et certaines années le repeuplement. Cela consistait à replanter certaines parcelles coupées « blanc et toc » l’année précédente. Bien souvent ces replantations devaient être protégées pour éviter que le gibier, en quelques jours, ne réduise à néant le travail accompli en broutant les jeunes pousses très fragiles.
Pour la gestion des étangs : réparation des digues, des vannes et crémaillères de manœuvre après une vidange pour pêche, remise en eau, alevinage, surveillance contre le braconnage, faucardage des roseaux et des lèches, fixation des dates de vidange, vidange, pêche et vente du poisson. En général le poisson était acheté par le pisciculteur et maire de Gondrexange, Monsieur André HUBER. En été, la période de sécheresse était utilisée pour curer les ruisseaux d’évacuation des eaux de vidange.
Je tiens à mentionner particulièrement la pêche de la Frade, car elle s’étalait sur deux jours, pour moi deux jours de fête. Elle avait toujours lieu fin octobre afin d’avoir du poisson à vendre pour les fêtes de la Toussaint. L’étang était vidangé suffisamment pour que le fond soit à sec, sauf le chenal central où se concentraient les poissons. Les ouvriers embauchés pour l’occasion déployaient le filet en amont du chenal et en le halant de part et d’autre, l’amenaient près de la digue où d’autres ouvriers chaussés de cuissardes et à l’aide de grandes épuisettes recueillaient en vrac les poissons de toutes tailles et de toutes espèces. Ils étaient déposés sur une table à rebords où on les triait pour les stocker dans des citernes pleines d’eau et alimentées en oxygène à l’aide d’étranges bouteilles qui pour moi pesaient des tonnes. Lorsque les citernes étaient pleines de carpes, de brochets, de tanches, de perches, de blancs tout juste bons pour les chats, de vifs, ces petits poissons que l’on met de côté pour aleviner sur place ou dans un autre étang ou que l’on utilise comme vifs pour appâter les poissons carnassiers dans une pêche à la ligne, avec aussi parfois l’une ou l’autre anguille qui s’étaient laissées prendre malgré leur capacité de se sauver en rampant sur la vase, le chargement regagnait Gondrexange où Monsieur HUBER avait sa pisciculture près du canal de la Marne au Rhin. Alors le tri était interrompu et on en profitait pour déjeuner. Au menu exclusivement de la perche, assommée, écaillée vivante, vidée et lavée dans l’eau de l’étang. Subtilement salée et poivrée à l’intérieur, elle était grillée dans une énorme poêle huilée et chauffée sur une vieille cuisinière à bois que j’étais chargé d’alimenter pour qu’elle ait la bonne température. Trop chaude les perches risquaient de brûler avant d’être cuites, pas assez chaude les convives devaient faire la queue pour être servis. Alors ils se moquaient de moi, disant que je devrais repasser mon examen de chauffeur l’année suivante. La poêle pouvait griller en même temps entre dix et quinze pièces suivant la taille des poissons. Les meilleures à mon goût étaient les moyennes, avec les petites on était obligés de manger les arêtes, les grosses on devait les attendre trop longtemps. Le goût de la perche ainsi préparée est inimitable en cuisine. Inutile d’essayer. Il faut du poisson vivant, l’eau de l’étang, le feu de bois et l’odeur de fumée qui l’accompagne, il faut la température extérieure plutôt fraiche comme fin octobre, il faut l’huile à bonne température et le savoir-faire de Georges GANGLOFF qui donnait les ordres et salait et poivrait lui-même les perches. Enfin il faut avoir attendu ça depuis près de trois heures, parfois même sous la pluie, pour apprécier pleinement ce monument culinaire réservé par le destin à quelques rares privilégiés dont j’étais. J’en serai éternellement reconnaissant à mon père qui m’emmenait toujours avec lui.
Pour la gestion de la ferme : entretien des bâtiments, brûlage des prairies au printemps pour éliminer les herbes sèches, araser les taupinières et fourmilières, et fertiliser les sols. L’odeur d’herbes brûlées est toujours dans ma mémoire et évoque encore aujourd’hui pour moi le retour des beaux jours. Enfin il fallait procéder à l’adjudication des foins et regains car le domaine n’avait pas de fermier exploitant.
Pour l’organisation des chasses : fixation du calendrier des battues et des périodes de chasse individuelle aux brocards, aux cerfs coiffés. Choix des invités par Paris, des invités locaux, préparation des chambres au château, achats des denrées alimentaires et des vins (essentiellement du Bourgogne rouge), réservation du personnel de service (cuisinière, femmes de ménage et femmes de chambres). Pour l’occasion, ma mère était nommée responsable de ce personnel de service, ce qui avait pour principale conséquence que si quelque chose n’allait pas, c’est à elle que les invités mal léchés s’en prenaient. Je dois souligner que parmi les invités de la capitale il n’y avait pas que des gentlemen, il y avait aussi des malotrus et des goujats. J’ai des noms et des anecdotes prouvant leur méchante bêtise, et plus particulièrement celle de l’un d’eux, son nom est très connu encore aujourd’hui par l’activité de son fils à la télévision et à l’Académie Française, mais je le tairai car ce serait lui faire trop d’honneur que de le citer. Il a insulté ma mère, elle est rentrée à la maison en pleurant. Qu’il crève!
 Il fallait aussi organiser réception et acheminement des invités arrivant par le train à Sarrebourg, installation au château, préparation et service des repas, chez nous ou au château suivant le nombre et la qualité des arrivants. En général, mangeaient chez nous les membres de la famille de Moustier et l’administrateur judiciaire (au maximum quatre personnes et lors de séjours individuels uniquement). Organisation des battues avec embauches des traqueurs et vente du gibier dès le lundi (les battues avaient toujours lieu des samedis et dimanches). L’acheteur attitré était le « rayon gibier » des magasins Magmod à Strasbourg, dont le responsable était Léon RAPINAT, toujours invité car fine gâchette très appréciée. Lorsqu’il rentrait le dimanche soir après la chasse, Simone et moi profitions de sa voiture pour rejoindre Strasbourg où nous faisions des études. Parfois nous faisions le voyage avec le chauffeur de Monsieur MARTIN directeur de l’agence Ascenseurs Otis, lorsqu’il rejoignait Strasbourg seul dans sa DS. C’est ainsi que sur la RN4, à hauteur de Wasselonne, nous avons failli écraser un chevreuil qui de nuit traversait la route. J’ai dit au chauffeur que, de peur, j’avais fermé les yeux avant le choc. Il m’a dit : « moi aussi ». Heureusement il n’y a pas eu de choc.
Le samedi soir de battue un repas chasseur était servi au château. On y mangeait de bonnes choses et si nous n’étions pas au nombre des convives officiels, nous étions toujours les invités de la cuisine avec le même menu servi dans des assiettes « ordinaires » et sans tralalas. Pour les repas de midi, les chasseurs les prenaient en forêt. Des abris en bois assez vastes pour abriter tout le monde étaient construits en différents endroits du domaine, équipés d’une grande table et de bancs qui en faisaient le tour. Ils permettaient de déguster au sec par tous les temps la soupe chaude aux pois avec les saucisses qui vont avec, préparés au château et que j’apportais dans des marmites norvégiennes. Ces transports alimentaires me donnaient l’occasion de conduire la voiture et de m’entrainer en vue du permis. Arrivé sur place, j’attendais que le repas soit terminé pour rapporter les marmites vides. Je patientais près du grand feu de bois qui crépitait à côté de l’abri. Et je me faisais griller de grandes tranches de lard au bout d’une baguette de noisetier bien effilée. Avec du pain de campagne c’est un régal digne des grands chefs, mais peu de gens le savent. C’est pour vous donner l’envie de goûter que je donne ces précisions. Bon appétit !






Témoignage de Monsieur Buck le deuxième personnage à partir de la droite sur la photo ci-dessus, garde-chasse à la retraite, interviewé par le journaliste du Républicain-Lorrain


L'école :

Jusqu’en juillet 1945, Maria et moi allions à l’école primaire à Gondrexange. Elle à l’école des filles avec une institutrice, moi à l’école des garçons avec un instituteur, Monsieur Lang. Simone, trop jeune restait à la maison.


Nous partions tôt le matin avec les autres enfants du quartier, sur un chariot agricole à quatre roues en bois cerclées de fer, tiré par un cheval et conduit par un des parents. Nous emportions notre repas de midi dans une casserole métallique que nous faisions réchauffer chez des particuliers voisins de l’école. Maria et moi étions hébergés pour le repas de midi chez les demoiselles ANDRE. Le soir nous rentrions à pied par tous les temps et dès notre arrivée, nous faisions les devoirs.
Å partir de la rentrée scolaire d’octobre 1945, Maria était entrée directement en 5ème au pensionnat de Fénétrange. Elle avait "sauté" la 6ème car son niveau en français était jugé excellent. Elle ne rentrait à la maison que pour les vacances. Mon père me conduisait à l’école avec son vélo Triumph, je mangeais ma gamelle réchauffée chez madame RITIMANN, et le soir mon père venait me rechercher, toujours à vélo. Cette formule ne dura pas longtemps, car on trouva enfin une voiture à acheter, une Renault CELTA 4, qui fut utilisée systématiquement pour tous déplacements au village et pour aller voir Maria le dimanche, et lui apporter des friandises pour la semaine. On allait aussi au marché hebdomadaire à Sarrebourg pour les extra. Nous prenions notre pain à Gondrexange.


Quelques mois plus tard, l’administrateur parisien nous attribua une voiture de maître qui appartenait à Melle de CUREL, une Mathis avec séparation vitrée entre l’avant et l’arrière, le compartiment arrière était capitonné. La voiture très lourde à conduire et gourmande en essence ne sortait pas souvent du garage où on l’avait remisée sur cales. Pour le plaisir mon père nous emmenait à Gondrexange pour frimer mais en revenait les bras endoloris par les efforts nécessaires pour manœuvrer le volant. Elle pesait deux tonnes et n’avait pas de direction assistée. L’administrateur décida de la vendre au plus offrant. Elle fut achetée par un ferrailleur pour une bouchée de pain. Je le regrette encore aujourd’hui.
Les voitures suivantes furent, dans l’ordre : une Simca 8, une Renault Juva 4, une Renault break Domaine, puis une Dyna Panhard PL16. à carrosserie entièrement en aluminium.




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Commentaires

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Salut